Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/207

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Esseintes conclut qu’ils s’entretenaient du mauvais temps ; aucun d’eux ne riait et tous étaient vêtus de cheviote grise, réglée de jaune nankin et de rose de papier buvard. Il jeta un regard ravi sur ses habits dont la couleur et la coupe ne différaient pas sensiblement de celles des autres, et il éprouva le contentement de ne point détonner dans ce milieu, d’être, en quelque sorte et superficiellement, naturalisé citoyen de Londres ; puis il eut un sursaut. Et l’heure du train ? se dit-il. Il consulta sa montre : huit heures moins dix ; j’ai encore près d’une demi-heure à rester là ; et une fois de plus, il songea au projet qu’il avait conçu.

Dans sa vie sédentaire, deux pays l’avaient seulement attiré, la Hollande et l’Angleterre.

Il avait exaucé le premier de ses souhaits ; n’y tenant plus, un beau jour, il avait quitté Paris et visité les villes des Pays-Bas, une à une.

Somme toute, il était résulté de cruelles désillusions de ce voyage. Il s’était figuré une Hollande, d’après les œuvres de Teniers et de Steen, de Rembrandt et d’Ostade, se façonnant d’avance, à son usage, d’incomparables juiveries aussi dorées que des cuirs de Cordoue par le soleil ; s’imaginant de prodigieuses kermesses, de continuelles ribotes dans les campagnes ; s’attendant à cette bonhomie patriarcale, à cette joviale débauche célébrée par les vieux maîtres.

Certes, Haarlem et Amsterdam l’avaient séduit ; le peuple, non décrassé, vu, dans les vraies campagnes,