Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/258

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atours nécessaires bien inférieures aux femmes enfermées dans des salons de luxe ! Mon Dieu, se disait des Esseintes, qu’ils sont donc godiches ces gens qui papillonnent autour des brasseries ; car, en sus de leurs ridicules illusions, ils en viennent même à oublier le péril des appâts dégradés et suspects, à ne plus tenir compte de l’argent dépensé dans un nombre de consommations tarifé d’avance par la patronne, du temps perdu à attendre une livraison différée pour en augmenter le prix, des atermoiements répétés pour décider et activer le jeu des pourboires !

Ce sentimentalisme imbécile combiné avec une férocité pratique, représentait la pensée dominante du siècle ; ces mêmes gens qui auraient éborgné leur prochain, pour gagner dix sous, perdaient toute lucidité, tout flair, devant ces louches cabaretières qui les harcelaient sans pitié et les rançonnaient sans trêve. Des industries travaillaient, des familles se grugeaient entre elles sous prétexte de commerce, afin de se laisser chiper de l’argent par leurs fils qui se laissaient, à leur tour, escroquer par ces femmes que dépouillaient, en dernier ressort, les amants de cœur.

Dans tout Paris, de l’est à l’ouest, et du nord au sud, c’était une chaîne ininterrompue de carottes, un carambolage de vols organisés qui se répercutait de proche en proche, et tout cela parce qu’au lieu de contenter les gens tout de suite, on savait les faire patienter et les faire attendre.