Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La décadence de cette ancienne maison avait, sans nul doute, suivi régulièrement son cours ; l’effémination des mâles était allée en s’accentuant ; comme pour achever l’œuvre des âges, les des Esseintes marièrent, pendant deux siècles, leurs enfants entre eux, usant leur reste de vigueur dans les unions consanguines.

De cette famille naguère si nombreuse, qu’elle occupait presque tous les territoires de l’Île-de-France et de la Brie, un seul rejeton vivait, le duc Jean, un grêle jeune homme de trente ans, anémique et nerveux, aux joues caves, aux yeux d’un bleu froid d’acier, au nez éventé et pourtant droit, aux mains sèches et fluettes.

Par un singulier phénomène d’atavisme, le dernier descendant ressemblait à l’antique aïeul, au mignon, dont il avait la barbe en pointe d’un blond extraordinairement pâle et l’expression ambiguë, tout à la fois lasse et habile.

Son enfance avait été funèbre. Menacée de scrofules, accablée par d’opiniâtres fièvres, elle parvint cependant, à l’aide de grand air et de soins, à franchir les brisants de la nubilité, et alors les nerfs prirent le dessus, matèrent les langueurs et les abandons de la chlorose, menèrent jusqu’à leur entier développement les progressions de la croissance.

La mère, une longue femme, silencieuse et blanche, mourut d’épuisement ; à son tour le père décéda d’une maladie vague ; des Esseintes atteignait alors sa dix-septième année.