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Page:Huysmans - Certains, 1908.djvu/194

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CERTAINS

être mal équarri, à l’ignorance superficiellement rabotée par un cuistre, lâché, dans la capitale, au milieu de peintres non moins ignares mais dont l’esprit populacier s’est dégrossi dans des estaminets et des crémeries. En fait de lectures, Millet avait sans doute connu la fameuse rengaine de La Bruyère dont j’ai parlé ; il avait tâtonné dans les épisodes de la Bible qu’il n’était déjà plus ni assez simple, ni assez affiné pour comprendre. Pêle-mêle, il a transféré ces lectures mal ingérées sur ses toiles, et il nous a servi, au lieu des paysans finassiers et retors, cupides et pleurards de la Brie, des esclaves excédés qui crient grâce et déclament des tirades à la Valjean. Au lieu de butors qui ne prient guère, il nous a dépeint des gens qui se recueillent à l’Angélus, des pâtres idylliques et pieux, comme si le son d’une cloche dans les champs n’était pas pour les bergers le simple signal d’une heure qui désigne le moment d’un goûter, qui marque l’instant convenu d’un retour !

Non, Millet était un peintre, c’est-à-dire un homme doué d’une recommandable adresse des doigts et d’une certaine agilité de l’œil, mais