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Page:Huysmans - Certains, 1908.djvu/198

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CERTAINS

même idée du Jacques Bonhomme famélique qui guerroie pour manger son pain ; mais, ainsi exprimée, sans déclamation de face humaine ; ainsi laissée sans désignation directe, ainsi suggérée seulement, elle impressionne.

Puis le pastelliste est autre que le peintre. Les toiles aux horizons rétrécis ne sont plus ; le ciel maintenant fuit à perte de vue, l’air baigne les champs et une qualité que Millet possède peut-être plus que tout autre, paraît. La matière brute, la terre, sourd de son cadre, vivante et grasse. On la sent épaisse et lourde ; on sent que, sous ses mottes et ses herbes, elle s’enfonce toujours pleine. On hume son odeur, on la pourrait égrener entre ses doigts et entrer à pieds joints en elle. Chez la plupart des paysagistes, le sol est superficiel ; chez Millet, il est profond.

Enfin, cet homme, dont les procédés sont si subalternes et dont l’exécution est si vulgaire dans ses tableaux, se révèle soudain dans ses pastels comme possédant un métier personnel, un faire original. Le travail de son crayon noir, ses tracés filiformes, ses traînées d’épingles, ses bordures avec leur adroit ragoût de crayons