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L’OUVERTURE DE TANNHÆUSER

Soudain, dans ce site musical, dans ce fluide et fantastique site, l’orchestre éclate, peignant en quelques traits décisifs, enlevant de pied en cap, avec le dessin d’une héraldique mélodie, Tannhæuser qui s’avance ; — et les ténèbres s’irradient de lueurs ; les volutes des nuées prennent des formes cabrées de hanches et palpitent avec d’élastiques gonflements de gorges ; les bleues avalanches du ciel se peuplent de nudités ; des cris de désirs, des appels de lubricités, des élans d’au delà charnel, jaillissent de l’orchestre et, au-dessus de l’onduleux espalier des nymphes qui défaillent et se pâment, Vénus se lève, mais non plus la Vénus antique, la vieille Aphrodite, dont les impeccables contours firent hennir, pendant les concupiscences du paganisme, les dieux et les hommes, mais une Vénus, plus profonde et plus terrible, une Vénus chrétienne, si le péché contre nature de cet accouplement de mots était possible !

Ce n’est plus, en effet, l’immarcescible Beauté seulement préposée aux joies terrestres, aux excitations artistiques et sensuelles telle que la salacité plastique de la Grèce la comprit ; c’est l’incarnation de l’Esprit du mal, l’effigie de l’omnipotente Luxure, l’image de l’irrésistible et magnifique Satane qui braque, sans cesse aux aguets des âmes chrétiennes, ses délicieuses et maléfiques armes.

Telle que Wagner l’a créée, cette Vénus, emblème