Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/183

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occupe dans le monde un rang plus honorable que celui d’un célibataire, se disait M. Folantin, qui se rappelait la gêne et un peu la morgue d’anciens camarades entrevus depuis leur mariage. Tout cela, c’est bien bête ! Et il sourit, car le souvenir de ces compagnons de jeunesse le ramenait forcément au temps où il les fréquentait.

Il avait vingt-deux ans alors et tout l’amusait. Le théâtre lui apparaissait comme un lieu de délices, le café comme un enchantement, et Bullier, avec ses filles cabrant le torse, au son des cymbales et chahutant, le pied, en l’air, l’allumait, car dans son ardeur, il se les figurait déshabillées et voyait sous les pantalons et sous les jupes la chair se mouiller et se tendre. Tout un fumet de femme montait dans des tourbillons de poussière et il restait là, ravi, enviant les gens en chapeaux mous qui cavalcadaient en se tapant sur les cuisses. Lui, boitait, était timide, et n’avait pas d’argent. N’importe, ce supplice était doux, puis de même que bien des pauvres diables, un rien le contentait. Un mot jeté au passage, un sourire lancé par-dessus l’épaule, le rendaient joyeux et, en rentrant chez lui, il rêvait à ces femmes et s’imaginait que celles-là qui l’avaient regardé et qui lui avaient souri étaient meilleures que les autres.

Ah ! Si ses appointements avaient été plus élevés ! Dépourvu d’argent comme il l’était, ne pouvant