Aller au contenu

Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de foule devant les pharmacies il a regardés, tout en fendant d’un coup de tranchet la robe brune des châtaignes, tout en remuant avec son couteau de bois les marrons qui se craquèlent et pètent !

Et cependant la vie n’est pas couleur de rose dans ce chien de métier ; vent, bruine, pluie, neige, s’en donnent à cœur joie ; le fourneau tressaille et geint sous les rafales qui le bousculent, épandant à flots la fumée qui pique les yeux et éteint la voix ; le charbon brasille et s’use vite, les chalands passent rapides, engoncés dans le collet de leur paletot, aucun ne s’arrête devant l’échoppe et derrière le malheureux, au travers des vitres qui le séparent de la piscine aux vins, s’alignent, vives, engageantes, scintillant sur une planchette posée devant une glace, des régiments de bouteilles, hautes en couleur et larges en ventre. Quelle attirance, quelle fascination ! oh ! qui dira le charme des canons et du tafia ? Ne les regarde point, pauvre hère, oublie froid, faim, bouteilles et chante, nasillard, ta complainte obstinée : eh ! chauds, chauds, les marrons !

Va, éreinte-toi, gèle, gèle, souffle sur les fumerons qui puent, aspire à pleine bouche la vapeur des cuissons, emplis-toi la gorge de cendre, trempe dans l’eau tes mains bouillies et tes doigts grillés, égoutte les châtaignes, écale les marrons, gonfle les sacs, vends ta marchandise aux enfants goulus, aux femmes