Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/242

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— Merci, non, je ne mets qu’un morceau.

Il se tut, pendant quelques instants, tourmenté par la crainte que Jeanne n’eût les chairs blettes. Il essaya doucement de s’en assurer, mais elle le pria de rester sur sa chaise, tranquille.

Alors, il parla de Madame Laveau. Elle ne la connaissait pas, au temps où ils étaient ensemble !

— Non, il y aura deux années, tiens, juste, le mois prochain, que nous nous sommes rencontrées ; c’est une drôle d’histoire, tout de même, dit Jeanne, pensive. J’ai connu Eugénie longtemps après son veuvage, car elle a été mariée pour de vrai, tu sais ; elle habitait un hôtel de la rue Contrescarpe, dans la chambre au-dessous de la mienne. Un matin, le garçon m’a appris, en me montant mes chaussures, que la femme du dessous et son enfant ne mangeaient pas depuis deux jours. J’ai cuit du chocolat et puis je suis allée les voir. Eugénie était couchée et dormait, et sa petite, une mioche de dix mois, habillée d’une robe à traîne, taillée dans un ancien imperméable à carreaux, se tenait après les chaises et se fichait, à tout bout de champ, sur le nez, par terre, piaillant, les jambes empêtrées dans sa grande robe.

Voilà. – Alors, elles ont mangé le chocolat et puis moi je suis restée amie avec la mère, mais la petite est morte, un an après, du croup.

André resta songeur, se répétant tout bas cette vérité, que les femmes du peuple s’entr’aident et soignent, presque toutes, des voisines affamées ou malades qu’elles ne connaissent point, tandis que les