Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/269

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Il fait bon ici, soupirait Jeanne, en souflant et tendant son assiette. André répondait oui ; – et tous deux ne parlaient plus, les yeux recueillis devant un buffet rempli de jambons fumés, dorés et gras, les uns suintant des gouttes de gelée pâle sur un plat, les autres montrant de sanglantes entailles laissant voir l’os sous leur chairs coupées.

Bien qu’ils eussent amplement dîné, ils éprouvaient maintenant presque du mépris pour les nourritures éphémères et fines de Mélanie ; la salive leur montait aux lèvres, une vorace fringale les prenait devant ce buffet encombré de larges et solides viandes, flanquées et appuyées encore par des barils de harengs roulés, des corbeilles de pain au fenouil, des craquelins et des bretzel, des saladiers où marinaient des vinaigrettes de museaux de bœufs, des cloches sous lesquelles se liquéfiaient les hauts Munster et les Limbourg.

Et tous deux, l’estomac languissant et chargé, s’attardaient sur leur banquette jusqu’à l’heure de la fermeture ; Jeanne, un peu étourdie par la fumée du tabac et par la bière ; André rêvant, les yeux ouverts, aux puissantes bitures de l’Alsace, regardant défiler devant lui, en songe, des gilets rouges et des tricornes, des nez en fleur et des ventres ronds, toute une séquelle de pochards rigolos tournant et buvant autour de l’énorme panse du Gambrinus de terre cuite qui se dressait, sur un comptoir, dans la brasserie, victorieux et gorgé, à cheval sur un foudre et le verre en l’air !