Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/44

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une cuillerée de sauce, causaient comme de bonnes mamans, débinaient une voisine, plaignaient leur concierge dont le ventre avait enflé en mangeant des moules.

André commençait à se ragaillardir, mais une côterie, installée près du poêle, éteignait avec son vacarme le brouhaha des autres groupes.

Un coiffeur pérorait, émettait des vérités de cette force : quand on a de l’argent, on vous tire des coups de chapeau, sans ça, quand on a, comme moi, placé tout son saint-frusquin dans des fonds qui ne rapportent pas, on vous chante : « Marie, trempe ton pain, Marie, trempe ton pain. » Du reste, toutes les fois que j’ai acheté des valeurs, elles baissaient le lendemain ; je ne pourrais pas me l’interdire d’ailleurs, il me faut des émotions !

Les camarades se délectaient, lui versaient à boire et lui, avec ses yeux capotés, son air de glorieux crétin, reprenait : moi, j’aime le sexe ; pour que je puisse m’en passer, il faudrait que je sois comme le merle qui siffle après ses enfants ; et, faisant par un calembour allusion à son métier, il ajouta : je ne serais toujours pas un merle vif, je serais un merle lent.

Des fusées de joie partirent, d’incompréhensibles gaietés saluèrent cette bordée de sottises.

André avait hâte de prendre son chapeau, de fuir, mais le service ne se pressait guère. Il avait réduit de moitié un rosbif très dur et abandonné le reste, il réclamait maintenant une oseille qui n’arrivait point.