de congé étaient plus gais au dehors ! toute ma journée, à moi, était gâtée par l’appréhension de la rentrée, le soir. Ma famille consultait sa montre. « Il faut se dépêcher, disait ma mère, l’heure avance. » Je quittais la table, après le second plat, j’emportais mon dessert dans ma poche, et alors, après les recommandations et les embrassades, j’étais reconduit par Irma, la bonne. Les rues pleines de monde me serraient le cœur. Je voyais des enfants qui s’attardaient devant des boutiques criblées de lumière. J’enviais la misère des mioches du peuple qui galopinaient sur les trottoirs. Ceux-là étaient libres ! moi, je devais presser le pas, afin d’arriver à l’heure. O les rues, ce soir-là ! la rumeur des cafés remplis de monde, les affiches des théâtres qui me semblaient inviter à des bonheurs inouïs, tout cela me jetait la mort dans l’âme ! J’essayais de marcher moins vite, mais la bonne avait hâte de se débarrasser de moi, pour aller rejoindre, sans doute, un amoureux. Elle doublait les enjambées, nous étions enfin devant la triste loge où Piffard veillait derrière les vitres d’une cage. Dès que je mettais les pieds dans cette salle, un grand froid me tombait sur les épaules, comme si j’étais entré dans une cave ; le dos de la bonne qui partait me donnait envie de pleurer et de fuir. Tu te souviens, on regagnait le dortoir ; le pion vous menaçait d’une privation de sortie pour le dimanche suivant parce que nos talons sonnaient trop fort. L’on se déchaussait et, sans pantoufles, dans ce dortoir éclairé comme pour une
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