Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/72

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— Volnay, nuits, beaune, pommard ? continua André.

— Pommard ! hein ? dit Cyprien, l’œil goulu ; que penses-tu de celui-là ?

Et il donnait des coups de pinceaux dans l’air, voyait un tableau tout fait : une salle à manger confortable, sans femmes, de joyeux compères attablés, la bedaine au vent, avec des rougeurs sur la trogne, des mines de goinfres repus, des rires de vieux gueulards que le vin travaille ! Il voyait une débauche d’artistes, à la papa, dans une chambre chaude, avec un tapis sous les pieds, des sièges moelleux, un service bien organisé, des éclats de gaieté jouant à l’aventure, des paradoxes valsant sur des cordes roides, tombant sur des tremplins, rebondissant et jaillissant en des pirouettes d’adjectifs qui entincelaient, dans la phrase, comme dans une culbute, les maillots pailletés des pîtres !

— Ah ça ! Te décideras-tu, grogna André, que l’air rêveur de Cyprien impatientait ?

— Eh bien mais, du pommard, répliqua l’autre.

Ils commandèrent une bouteille au sommelier et remplirent les verres.

— Je n’aperçois plus rien, moi, se dit le peintre. La vision charmante de la tablée, en désordre, et tendant ses verres, avait disparu. Il buvait du vin qui n’était pas désagréable, mais ça se bornait là.

Il regarda d’un air découragé le restaurant qui commençait à bruire, et, avalant deux gorgées, il s’écria :

— Non, ce n’est pas la vieillesse qui rend le vin bon, c’est le décor, c’est l’atmosphère dans lesquels on le boit !