Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/81

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aucun garçon. En revanche, ils eurent à parfaire l’éducation d’une nouvelle fille. Berthe Vigeois, leur nièce, perdit son père subitement et vint habiter chez eux. Elle ne leur imposa d’ailleurs aucune charge, elle aida même à la marche hésitante du ménage avec les soixante mille francs qu’elle apportait. On disloqua, à son profit, un cabinet de toilette attenant à la chambre à coucher, on y rangea tant bien que mal les meubles réservés sur la vente de la succession. La quiétude de cette famille, troublée par ces apprêts, reprit peu à peu ; on allongea la soupe, on acheta plus souvent de la vraie viande, on put enfin convier à des sauteries quelques personnes.

Berthe avait, à cette époque, près de vingt ans ; sa mère était morte alors qu’elle en avait douze. Elle grandit auprès d’un fauteuil où son père, agité et malingre, sortait de ses couvertures de voyage à neuf heures du soir. Alors on sonnait la bonne pour préparer les lits, pour chauffer celui de Monsieur et Berthe écrasait les braises à coup de pelle dans la bassinoire, mettait le garde-feu, tendait le front à son père, allumait son bougeoir et, reculant, malgré le froid, le moment de se coucher, elle retenait la bonne venue dans sa chambre pour ouvrir les draps, l’écoutait raconter toutes les misères de sa maison, tous les ragots de son quartier.

Ancien commerçant en rouenneries, Henry Vigeois, son père, était un homme qui avait réussi, malgré sa loyauté en affaires, à amasser une petite fortune.

D’esprit étriqué et bonasse, il avait pivoté, toute sa