Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/95

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son tort. Elle lui demandait d’un ton dégagé, si son livre marchait, le dévisageait d’un air de doute, s’il disait oui, d’un air éploré, s’il disait non. Elle lâchait d’atterrantes réflexions sur les volumes qu’elle lisait, répétait les soirs où André se démenait sur son papier : c’est amusant ce roman que je viens d’achever ; c’est écrit avec une facilité ! Et elle ajoutait quelques minutes après : faut-il remonter la lampe ? Si tu dois veiller tard, j’y remettrai de l’huile.

André mâchait ses colères, répondait parfois comme un homme qui s’impatiente. Elle prenait alors une voix suppliante :

— Voyons, ne me parles pas ainsi, ce n’est pourtant pas de ma faute si tu ne peux pas !

D’autres fois, elle se lançait dans des éloges pompeux sur les œuvres des maîtres qu’adorait André.

— Il est bien juste qu’ils gagnent de l’argent, disait-elle, ils ont tant de talent !

Elle parvenait à rendre désagréable pour son mari les louanges qu’elle décernait aux artistes qu’il aimait le mieux !

Elle était arrivée à raffiner l’âcreté des morsures ; de même que la plupart des femmes, elle considérait, du reste, son mari comme une bête de somme et s’indignait que, malgré les coups d’aiguillons, il ne travaillât pas d’arrache-pied afin de lui permettre à elle d’augmenter encore le nombre de ses fantaisies. Si autrefois elle prenait son père pour un banquier, elle trouvait juste au moins qu’il ne lui allouât qu’une somme en rapport avec ses moyens ; maintenant elle eût