Page:Huysmans - En rade.djvu/20

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— Oh ! nous n’avons pas le droit d’être difficiles ; à Paris nous ne buvons que des vins tiraillés dans lesquels il entre peu de raisins frais, mon oncle.

— Oh là ! faut-il, faut-il ! — puis, après une pause, il ajouta : Ça se pourrait tout de même, mon homme.

— Ah ben, c’étant ! soupira la tante Norine, en joignant les mains.

Le père Antoine tira son couteau de sa poche, l’ouvrit et tailla des miches.

C’était un tout petit vieillard, maigre comme un échalas, noueux comme un cep, boucané comme un vieux buis. La face ratatinée, vergée de fils roses sur les pommettes, était trouée de deux yeux glauques, flanquant un nez osseux, court, pincé, tordu à gauche, sous lequel s’ouvrait une large bouche hersée de dents aiguës très fraîches. Deux bouts de favoris, en pattes de lapin, descendaient de chaque côté des oreilles écartées du crâne ; partout, sur la figure, au-dessus des lèvres, dans les salières des joues, dans les fosses du nez, sur les creux du col, des poils drus poussaient, fermes comme des poils de brosse, poivre et sel comme ses gros cheveux qu’il rabattait avec les doigts, sous sa casquette. Debout, il était un peu courbé, et, de même que la plupart des paysans de Juti-