Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/100

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— Oui, Monsieur l’abbé. Elle est laide à faire pleurer, elle est prétentieuse, elle est baroque et ses chantres y barattent une margarine de sons vraiment rances ! Je ne la fréquenterais donc pas comme Saint-Séverin et Saint-Sulpice, pour y admirer l’art des anciens « Logeurs du bon Dieu », ou y écouter, même falsifiées, les amples et les familières mélodies du plain-chant. Notre-Dame des Victoires est, au point de vue esthétique, nulle, et j’y suis allé quelquefois pourtant, parce que, seule, à Paris, elle possède l’irrésistible attrait d’une piété sûre, parce que, seule, elle conserve intacte l’âme perdue des Temps. À quelque heure qu’on y aille, dans un silence absolu, des gens prosternés y prient ; elle est pleine lorsqu’on l’ouvre et elle est encore pleine quand on la ferme ; c’est un va-et-vient continu de pèlerins, issus de tous les quartiers de Paris, débarqués de tous les fonds de la province et il semble que chacun d’eux alimente, avec les prières qu’il apporte, l’immense brasier de Foi dont les flammes se renouvellent, sous ses cintres enfumés, ainsi que ces milliers de cierges qui se succèdent, en brûlant, du matin au soir, devant la Vierge.

Eh bien, moi, qui recherche dans les chapelles les coins les plus déserts, les endroits les plus sombres, moi qui exècre les cohues, je me mêle presque volontiers aux siennes. C’est que, là, chacun s’isole et que néanmoins chacun s’entr’aide ; l’on ne voit même plus les corps humains qui vous environnent, mais l’on sent le souffle des âmes qui vous entourent. Si réfractaires, si humide que l’on puisse être, l’on finit par prendre feu à ce contact et l’on s’étonne de se trouver tout à coup moins vil ; il me semble que les prières qui, autre part, lorsqu’elles me sor-