Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/86

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d’expérience aux autres pour acquérir. Par des voies différentes, elles sont arrivées au même rond-point. Puis, quelle lucidité révèle cette entrée dans un ordre ! car enfin, si elles n’avaient pas été recueillies par le Christ, elles seraient devenues quoi, ces malheureuses ? Mariées à des pochards et martelées de coups ; ou bien servantes dans des auberges, violées par leurs patrons, brutalisées par les autres domestiques, condamnées aux couches clandestines, vouées au mépris des carrefours, aux dangers des retapes ! Et, sans rien savoir, elles ont tout évité ; elles demeurent innocentes, loin de ces périls et loin de ces boues, soumises à une obéissance qui n’est plus ignoble, disposées par leur genre de vie même à éprouver, si elles en sont dignes, les plus puissantes allégresses que l’âme de la créature humaine puisse ressentir !

Elles restent peut-être encore des bêtes de somme, mais elles sont les bêtes de somme du bon Dieu, au moins !

Il en était là de ses réflexions quand le bedeau lui fit un signe. Le prêtre, descendu de l’autel, tenait le petit ostensoir ; la procession des jeunes filles s’ébranlait maintenant devant lui. Durtal passa devant le rang des religieuses qui ne se mêlèrent pas au cortège et, le cierge à la main, il suivit le bedeau qui portait derrière le prêtre un parasol tendu de soie blanche.

Alors, de sa voix traînante d’accordéon grandi, l’harmonium, du haut de la tribune, emplit l’église, et les nonnes, debout à ses côtés, entonnèrent le vieux chant rythmé tel qu’un pas de marche, « l’Adeste fideles », tandis qu’en bas les moniales et les fidèles scandaient,