Page:Huysmans - L'Oblat.djvu/340

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d’un turban lâche d’étoffe, revêtu d’une ample robe retenue par une ceinture, drapé dans un manteau magnifique, aux parements studieusement brodés, il se détachait, de profil, le nez en lame de serpe, les cheveux ondulés, la barbe fleurie de petites bulles. Il tenait à la fois du négociant et du juriste, du négociant riche surtout. Il devait acheter les vins de Zacharie, intimider par son ton agressif les objections des clients, hâter, par la fougue de ses boniments, les ventes.

Enfin Isaïe affirmait autant, sinon plus que les autres, le désaccord trop certain qui existait entre ces statues et les personnages qu’elles étaient censées représenter. Lui, apparaissait sous les traits d’un vieux juif, d’un rabbin des judengasses, d’un patriarche des ghettos. Le crâne rond, chauve, creusé de ravines sur le front, chaque joue sabrée de profondes rides au-dessous du sécateur qui lui servait de nez, la barbe en fourche, les moustaches retombant, à la chinoise, aussi longues que la barbe, et les yeux aux lourdes paupières, presque fermés, il penchait tristement la tête, un livre sous un bras et, pendant au bout de l’autre, un rouleau sur lequel était tracée cette phrase : « Comme une brebis à la boucherie, on le conduira et comme un agneau, en présence du tondeur, il sera muet et n’ouvrira pas la bouche. »

En aucun temps l’on n’avait extrait de la pierre une image plus incisive et plus vivante, une effigie plus véridique, un portrait plus beau, mais ici encore la même question se posait : quelle analogie pouvait-on relever entre cet octogénaire las et triste et l’évangéliste de l’Ancien Testament, le nabi en tumulte, l’impétueux, le vitupérant Isaïe ?