Page:Huysmans - L'Oblat.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

raconter ses peines et qui vous console. Il avait vécu dans plusieurs couvents, il avait été la victime de bien des brigues, et il n’en avait pas moins conservé une âme d’enfant, ne croyant point au mal, aimant réellement ses frères, ainsi que le veut la règle, prêt à embrasser, sans même l’ombre d’une rancune, celui d’entre eux qui l’aurait le mieux desservi. Il sourdait du fond de son être un torrent d’affection qui noyait tout, un besoin de n’admettre que le bien, une sensibilité telle qu’une simple expression affectueuse l’émouvait jusqu’aux larmes.

Avec sa bonne grosse tête ronde, ses yeux qui pétillaient dans sa face ridée, il suggérait une impression de robustesse, et aussi de malice, mais de douce malice aimant à rire et se contentant, pour s’égayer, de peu. Son seul défaut c’était sa pétulance. Il montait… montait, ainsi qu’une soupe au lait, alors qu’il s’apercevait que des religieux n’observaient pas la règle. Il les réprimandait furieusement, frappant du poing la table, puis quand le coupable était parti, il courait après lui, l’embrassait, le suppliait de lui pardonner sa véhémence ; et sa tendresse, son désir de réparer ce qu’il croyait être, dans sa paternelle bonté, une avanie étaient tels que le délinquant pouvait alors manquer impunément aux observances. Il avait si peur de se refâcher et de contrister son frère, qu’il se taisait, rongeant son frein, pendant un certain temps.

Le père Abbé était plus calme, d’une bienveillance plus régulière. Il fermait les yeux sur les travers de chacun et regardait son prieur jouer le rôle de père-fouettard, sachant fort bien que les remontrances n’étaient