Page:Huysmans - Là-Bas, Tresse & Stock, 1895.djvu/138

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n’ai plus d’amis, sinon des Hermies. Tiens, il faudra que je tâche de savoir quelles personnes il a fréquentées, dans ces derniers temps — mais il en voit, en sa qualité de médecin, des masses ! et puis comment lui expliquer la chose ?

Lui raconter l’aventure ? il se fichera de moi et me démolira d’avance l’imprévu de cette histoire !

Et Durtal s’irrita, car il se passait en lui un phénomène vraiment incompréhensible. Il ardait pour cette inconnue, était positivement hanté par elle. Lui, qui avait, depuis des années, renoncé à toutes les liaisons charnelles, qui se contentait, alors que les étables de ses sens s’ouvraient, de mener le dégoûtant troupeau de son péché dans des abattoirs où les bouchères d’amour l’assommaient d’un coup, il en venait à croire, contre toute expérience, contre tout bon sens, qu’avec une femme passionnée comme celle-là semblait l’être, il éprouverait des sensations quasi surhumaines, des détentes neuves ! — Et il se la figurait telle qu’il l’eût voulue, blonde et dure de chairs, féline et ténue, enragée et triste ; et il la voyait, arrivait à une telle tension de nerfs que ses dents craquaient.

Depuis huit jours, dans la solitude où il vivait, il en rêvait, tout éveillé, incapable d’aucun travail, inapte même à lire, car l’image de cette femme s’interposait entre les pages.

Il tenta de se suggérer des visions ignobles, de