Page:Huysmans - Là-Bas, Tresse & Stock, 1895.djvu/318

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« Personne, mon imagination seule m’y a poussé ; la pensée ne m’en est venue que de moi-même, de mes rêveries, de mes plaisirs journaliers, de mes goûts pour la débauche ».

Et il s’accuse de son oisiveté, assure constamment que les repas délicats, que les robustes breuvages ont aidé à décager chez lui le fauve.

Loin des passions médiocres, il s’exalte, tour à tour, dans le bien comme dans le mal et il plonge, tête baissée, dans les gouffres opposés de l’âme. Il meurt à l’âge de trente-six ans, mais il avait tari le flux des joies désordonnées, le reflux des douleurs qui rien n’apaise. Il avait adoré la mort, aimé en vampire, baisé d’inimitables expressions de souffrance et d’effroi et il avait également été pressuré par d’infrangibles remords, par d’insatiables peurs. Il n’avait plus, ici-bas, rien à tenter, rien à apprendre.

— Voyons, fit Durtal qui feuilletait ses notes, je l’ai laissé au moment où l’expiation commence ; ainsi que je l’ai écrit dans l’un de mes précédents chapitres, les habitants des régions que dominent les châteaux du Maréchal savent maintenant quel est l’inconcevable monstre qui enlève les enfants et les égorge. Mais personne n’ose parler. Dès qu’au tournant d’un chemin, la haute taille du carnassier émerge, tous s’enfuient, se tapissent derrière les haies, s’enferment dans les chaumières.