Page:Huysmans - La Cathédrale, 1915.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouffrait sous la terre, paraissait refouler devant lui le jour, puis il sortait dans un hallali de lumière, revenait sur ses pas, se dérobait dans un nouveau trou, puis ressortait encore dans un bruit strident de sifflets et un fracas assourdissant de roues, et courait sur des lacets taillés en pleine roche, sur le flanc des monts.

Et subitement, les pics s’étaient écartés, une énorme éclaircie avait inondé le train de lueurs ; le paysage avait surgi, terrible, de toutes parts.

Le Drac ! s’était écrié l’abbé Gévresin, montrant, au fond du précipice, un serpent liquide qui rampait et se tordait, colossal, entre des rocs, ainsi qu’entre les crocs d’un gouffre.

Par instants en effet ce reptile se redressait, se jetait sur des quartiers de rochers qui le mordaient au passage, et, comme empoisonnées par ce coup de dents, les eaux changeaient ; elles perdaient leur couleur d’acier, blanchissaient, en moussant, se muaient en un bain de son ; puis le Drac accélérait sa fuite, se ruait dans l’ombre des gorges, s’attardait, au soleil, sur des lits de graviers et s’y vautrait ; il rassemblait encore ses rigoles dispersées ; reprenait sa course, s’écaillait de pellicules semblables à la crème irisée du plomb qui bout ; et plus loin il déroulait ses anneaux et disparaissait, en pelant, laissant après lui sur le sol un épiderme blanc et grénelé de cailloux, une peau de sable sec.

Penché à la portière du wagon, Durtal plongeait directement dans l’abîme ; sur cette ligne étroite, à une seule voie, le train longeait, d’un côté, les quartiers accumulés de pierre et, de l’autre, le vide. Seigneur ! si l’on déraillait ! Quelle capilotade ! se disait-il.