Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/104

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paupières, elle s’était un peu renversée sur le cuir de la banquette et les jambes, qu’elle avait courtes, touchaient à peine au plancher. Auguste réclama un petit banc ; elle devint rouge, lui disant : — Mais non, mais non, je n’en ai pas besoin. Quand elle l’eut tout de même sous les pieds, elle se fit cette réflexion que Céline, en train de boire du mauvais vermouth avec Anatole, n’était certainement pas aussi moelleusement assise, et elle savoura le bien-être des reins doucement posés, l’alanguissement des atmosphères tiédies par la fumée des pipes.

Un peu éblouie, elle regardait, en clignant des yeux, une femme qui se collait la tête contre l’épaule d’un homme. C’était une grosse fille, qui tirait la langue et faisait par gentillesse des ratisses avec les doigts. De temps à autre, elle avalait une gorgée d’absinthe et roulait des cigarettes avec un pouce teinté d’or fumé au bout. Désirée ne la vit bientôt plus qu’au travers d’une brume, elle se grisait positivement sans boire. Il faisait si chaud, il y avait une odeur d’alcool si persistante qu’elle avait le cerveau vague. — Le café jubilait et braillait avec cet abandon des hommes réunis entre eux, loin de leurs femmes, pour se divertir. Le garçon, les cheveux en coup de vent, écrasant des chaussettes fanées dans des escarpins trop larges, brinquebalait sur les poings