Page:Huysmans - Les Sœurs Vatard, Charpentier, 1880.djvu/9

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— Mesdames, je vous ai respectées, toute la nuit !

Le coup de tonnerre d’une énorme pile qui s’écroule coupa net l’engueulée du chœur qui huait la femme. — Personne n’avait reçu la pile sur la tête. — Les chansons reprirent.

— Voyons, mesdames, mesdames, un peu de silence ! supplia la contre-maître.

Alors, dans un crescendo immense, quarante femmes crièrent : La paie ! la paie ! Puis elles rattrapèrent le fausset de l’une d’elles, une voix pointue qui allait se piquer dans le plafond :


« Ayez pitié de ma souffran-an-ance
Allez, soldats, passez votre chemin !
Dans cette auberge — on ne verse du vin (bis)
Qu’aux enfants de la France ! »


Les plioirs frappaient les tables, les litres passaient d’une bouche à l’autre, suintant la salive et le vin ; — une ouvrière, debout, voulait regagner sa place, ses compagnes lui écrasèrent le ventre avec les dossiers de leurs chaises. — Une fille se moucha, sonnant comme d’une trompette ; — une bouteille se brisa le bec au rebord d’une table, le petit bleu coula sur les robes, deux femmes vomirent, l’une contre l’autre, des injures de poissardes, on les retint par leurs