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Page:Huysmans - Les foules de Lourdes (1907).djvu/180

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LES FOULES DE LOURDES

on finit par être un peu saoul dans le tintamarre de ces foules ; l’on n’est plus soi, mais un composé de je ne sais quels êtres affolés tournant, dans un mouvement de toton, sur eux-mêmes. Le recul fait défaut ; on ne voit plus, on a le mal de mer de l’âme ; tout se brouille ; c’est à peine si la prière intime est permise, car au moment où l’on va se recueillir, le chapelet se déroule à haute voix et, vous-même, vous êtes pris dans l’engrenage de cette roue vocale et vous moulez vos oraisons avec elle.

Ah non ! Lourdes n’est pas un lieu de délices pour ceux qui aiment le cœur-à-cœur avec la Vierge dans le silence et les ténèbres des vieilles cathédrales !

Mais il faut constamment le répéter, où constater un épanouissement de la grâce et une efflorescence de la charité, plus magnifiques qu’ici ?

Et c’est si anormal, à une époque où chacun ne poursuit qu’un but, s’enrichir aux dépens du prochain, que Lourdes présente vraiment, à ce point de vue, dans les annales de ce siècle, un spectacle unique !

À cette heure où la Société, fissurée de toutes parts, craque, où l’univers, empoisonné par des germes de sédition, s’inquiète dans l’attente d’une gésine ; à cette heure où l’on entend distinctement retentir, derrière les ténèbres de l’horizon, les tintements prolongés du glas, il semble que cette