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Page:Huysmans - Marthe, histoire d'une fille, 1876.djvu/74

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beaucoup, passionnément ? » elle avait répondu : beaucoup ! Mais enfin on peut avoir de l’affection pour un homme et cependant ne pas lui rester fidèle, cela se voit tous les jours ; elle avait donc tenté de s’aboucher avec des hospodars de la halle au blé, des gens riches si jamais il en fût ! Elle avait presque ébauché une liaison avec l’un d’entre’eux, quand elle rencontra un agent de police qui la dévisagea curieusement. Sa situation n’était pas claire. D’un moment à l’autre, la préfecture pouvait mettre la main sur elle ; elle avait fait partie d’un bagne d’amour, elle s’était évadée ; les limiers des mœurs pouvaient la reprendre.

Elle en vint à tressaillir quand le vent soufflait sous la porte ou qu’un porteur d’eau montait pesamment les marches. Elle ne sortait plus que pour aller aux provisions et rentrait aussitôt. Cette vie de transes et angoisses ne lui laissa plus un instant de répit. Elle s’ivrogna pour oublier ses épouvantes ; elle buvait du rhum à plein verre, accroupie sur une peau de bête devant un feu rouge et elle souriait aux flammes, hébétée, muette, frissonnant et se passant avec un geste épuisé les mains sur le front ; la chaleur terrifiante