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Nous partîmes d’Alexandrie le 5 octobre. Nous payâmes une taxe de quatre ducats par personne, et l’on nous remit à un drogman et à son fils, pour nous conduire au Caire chez le drogman en chef du sultan de Babylone (Vieux Caire ou Fosthàth), qui est un renégat vénitien. Nous montâmes dans une barque sarrasine, sur le canal du Nil, qui est à la distance d’un mille d’Alexandrie ; puis nous sortîmes du canal pour entrer dans le Nil, vers l’île de Rosette (tel est le nom sous lequel Frescobaldi paraît comprendre tout le Delta), et le premier château sans murailles (casale, village) que nous trouvâmes, ce fut celui de Suga[1]. Cette île est située entre deux bras du Nil, sur un desquels se trouve la ville de Damiette, qui égale en grandeur deux fois Alexandrie. En remontant, on trouve une ville presque détruite, mais qui fut noble et riche du temps des chrétiens (des croisés). Elle était alors appelée, ainsi qu’aujourd’hui, du nom de Teorgia[2].

Nous arrivâmes au Caire et à Babylone le 11 octobre, et nous fûmes présentés au grand drogman du sultan, qui nous fit loger dans une maison avec nos bagages. C’était, comme on l’a vu, un Vénitien renégat ; il avait pour femme une Florentine, dont le père, aussi renégat, avait été de son vivant grand drogman. Le sultan actuel (Almélic Azzhàhir Abou Sa’îd Barkoùk, le premier des sultans circassiens) était chrétien de naissance ; c’était un Grec (lisez Circassien) qui avait été vendu à un émir, à qui il servit de page. Plus tard, il devint lui-même émir du Caire (or il y en a dans cette ville douze, dont deux principaux) ; puis il réussit à obtenir la place d’un des principaux, fit tuer l’autre, s’empara du pouvoir, devint sultan, et, lors de notre arrivée, il avait déjà régné deux ans[3].

  1. Il est sans doute ici question de Deçoûk [arabe], situé dans le Gharbiyah, presque en face de Rahmàniyeh. (Voyez Abd Allatif, Relation de l’Égypte, p. 638, n° 182, et la carte de la basse Égypte, dans l’ouvrage du général Reynier, De l’Égypte après la bataille d’Héliopolis.)
  2. Frescobaldi se trompe en plaçant dans l’île de Rosette la ville de Teorgia, (Téroudjeh ou Téréoudjeh, de notre auteur, ci-dessous, p. 48, 49). Cette place était située dans la province de Bohaireb, à une demi-journée (4 à 5 lieues) d’Alexandrie. Guillaume de Tyr en fait mention, sous le nom de Toroge (Historiens occidentaux des croisades, t. I, p. 929, sub anno 1167). Elle est aussi nommée dans l’état des provinces et des villages de l’Égypte, dressé dans l’année 1875, et l’on voit qu’à cette époque, comme du temps où Ibn Batoutah la visita, elle était taxée, avec ses bateaux, à la somme de 72,000 dinars (Relation de l’Égypte, par Abd Allati, p. 663, n° 93).
  3. Pages 84 à 91.