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Page:Ibn Khaldoun - Histoire des Berbères, trad. Slane, tome 1.djvu/493

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EN-NOWEIRI.

§ XXIII. — LE MAGHREB SOUS LES ABBACIDES.

Quelque temps après l’élévation d’Abd-er-Rahman, [le khalife] Merouan fut tué, et les Abbacides établirent leur pouvoir sur les ruines de la dynastie oméïade. Abd-er-Rahman écrivit sur le champ à Abou-’l-Abbas-es-Saffah pour reconnaître son autorité, et il fit proclamer en Afrique la souveraineté des Abbacides. Abou-Djâfer-el-Mansour ayant ensuite pris en main le pouvoir suprême, envoya une lettre à Abd-er-Rahman dans laquelle il l’engageait à se conduire en serviteur dévoué. A cette exhortation Abd-er-Rahman répondit par un écrit renfermant l’assurance de sa fidélité. Il envoya avec sa lettre un cadeau d’objets rares et recherchés, entre autres, des faucons et des chiens de chasse ; faisant savoir en même temps au khalife que toute l’Ifrîkïa professant alors l’islamisme, on avait cessé d’y faire des esclaves, et qu’ainsi le khalife ne devrait pas exiger ce qu’on ne saurait lui donner. La lecture de cette communication excita la colère d’El-Mansour et il y répondit par une lettre pleine de menaces. Un violent transport d’indignation s’empara aussitôt d’Abd-er-Rahman ; il ordonna qu’on fît l’appel à la prière et, quand le peuple fut réuni dans la mosquée, il s’y rendit lui-même, revêtu d’une robe de soie et chaussé de sandales ; montant alors en chaire, il célébra la gloire de Dieu et le loua de ses bienfaits ; il invoqua la bénédiction divine sur Mahomet le prophète, et se livrant ensuite à des invectives contre Abou-Djâfer-el-Mansour, il s’écria : « Je m’étais imaginé que ce tyran voulait propager et maintenir la vérité, mais je viens de découvrir qu’il tient une conduite tout opposée à la vérité et à la justice, bien qu’il se soit engagé à les défendre lorsque je lui prêtai le serment de fidélité. Ainsi, maintenant je le rejette loin de moi comme je rejette ces sandales. » Alors, du haut de la chaire où il se tenait, il lança ses sandales au loin et ordonna qu’on lui apportât la robe d’honneur qu’il avait reçue d’El-Mansour. Ce vêtement, rayé de noir, la couleur distinctive des Abbacides, fut porté pour la première fois en Ifrîkïa quand Abd-er-Rahman prononça la prière au nom d’El-Mansour. L’ayant fait déchirer et