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Page:Ibsen - Les Revenants, La Maison de poupée, trad. Prozor, 1892.djvu/48

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THÉATRE

sentent heureusement et deviennent des types humains.

Il en est ainsi des personnages des Revenants et de l’action elle-même. L’enveloppe est norvégienne, mais les idées suggérées par cette œuvre et l’impression qu’on en rapporte sortent assurément de ce cadre étroit. Ce ne sont pas seulement les habitants de Bergen, où Ibsen, directeur de théâtre, a eu l’occasion d’étudier l’homme et la société, c’est l’homme et la société partout où on leur présente ce miroir, qui peuvent s’y reconnaître.

J’ai vu les Revenants, représenté dans le chef-lieu d’un canton suisse, une vieille ville où l’esprit public ne saurait être mieux symbolisé que par l’inscription « au pas ! » qu’on lit aux abords de ses édifices. La vétusté des monuments redoute jusqu’à l’allure, si peu alarmante pourtant, des chevaux de fiacre, dont l’approche les fait trembler sur leurs bases. La pièce fut interdite après une seule représentation, un édile s’étant reconnu dans le personnage du pasteur Manders, que des intrigants exploitent au nom de la religion et de la charité et aussi au nom de sa terreur devant les organes de l’Opinion. Le pauvre directeur, pour se faire pardonner son imprudence, dut se rejeter bien vite sur Guillaume Tell et la Muette, dont les cris de révolte, peu dangereux pour les intérêts locaux, électrisent ces mêmes esprits, amoureux de la Liberté tant qu’elle ne leur adresse pas de réclamations personnelles.

La haine de la cuistrerie — on ne peut pas dire la haine des cuistres, Ibsen n’en ressentant pas contre les individus — a naturellement éloigné le poète d’un cercle où cet élément domine. Cet éloignement, à son tour, l’a rapproché d’un autre milieu où son sens