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Page:Ibsen - Les Revenants, La Maison de poupée, trad. Prozor, 1892.djvu/57

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NOTICE SUR LES REVENANTS

telle séduction, qu’on a vu un jeune romancier danois du plus grand talent, M. Hermann Bang, monter sur la scène et entreprendre des tournées rien que pour jouer Oswald Alving.

Mme Alving est plus difficile à comprendre. Je vois encore, dans ce rôle, la vaillante norvégienne, à la chevelure blanche rejetée en arrière, au regard franc allant droit au pasteur avec une bonté sincère n’excluant pas un brin de scepticisme, étalant ensuite devant lui, avec une hardiesse simple et convaincue, le souverain orgueil d’une conscience qui s’est façonnée elle-même, les convictions amères que la vie lui a inspirées, emportée enfin par la passion instinctive d’une mère prête à tout pour sauver son enfant et, durant la terrible minute du dénouement, laissant planer une effrayante incertitude sur le sentiment qui triomphera dans son être bouleversé.

Le pasteur Manders est peut-être, de tous les personnages des Revenants, celui dont la nature est la moins saisissable pour une conception française. Cet être timoré, d’un esprit plutôt circonscrit par les principes acquis que borné en lui-même, d’une bonté dévoyée par l’exercice routinier de son ministère et par les traquenards que lui tendent les exploiteurs de la charité officielle, d’un jugement absolument faussé par les formules dont se paie sa morale, est évidemment la contre-partie de Mme Alving et sert d’antithèse à son caractère. C’est l’être qui comprime son individualité opposé à celui qui ne pense qu’à l’affranchir. Cette compression, jointe aux étonnements, aux troubles, aux mécomptes que lui cause le contact de la vie réelle n’est pas sans produire des effets comiques. On fera bien de les accentuer délicatement, dans le