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LES SOUTIENS DE LA SOCIÉTÉ

Scène X

Mlle MARTHA, Mlle LONA

LONA. — Maintenant nous sommes seules, Martha. Tu perds Dina ; et moi je perds Johann.

MARTHA. — Toi ?… Lui ?…

LONA. — Ah ! je l’aurais perdu quand même, je le sens. Il voulait déjà voler de ses propres ailes, et c’est pour cela que je lui ai fait croire que je souffrais du mal du pays.

MARTHA. — Pour cela ? Maintenant, je comprends pourquoi tu es revenue ; mais il te réclamera, Lona.

LONA. — De quelle utilité une vieille demi-sœur comme moi lui serait-elle désormais ? L’homme n’hésite pas à briser bien des affections pour arriver au bonheur.

MARTHA. — Hélas ! c’est vrai…

LONA. — Nous nous consolerons ensemble, Martha.

MARTHA. — Que puis-je être pour toi ?

LONA. — Nous sommes deux mères d’adoption qui avons perdu nos enfants et qui restons toutes seules.

MARTHA. — Oui, toutes seules. C’est pourquoi je puis te le dire à cette heure : je l’ai aimé…

LONA, lui saisissant la main. — Martha !… Est-ce vrai ?

MARTHA. — Toute ma vie se résume là : je l’ai aimé et je l’ai attendu. Je me disais sans cesse : il va revenir, il reviendra. Et voilà qu’il est revenu, mais sans me voir.

LONA. — Tu l’as aimé ! Et c’est toi qui fais son bonheur.