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THÉATRE

LONA. — Oh ! forcé !

BERNICK. — Penses-tu que je sois très heureux dans ce moment ?

LONA. — Non, je ne crois pas que tu puisses être heureux.

BERNICK. — Lona, tu me méprises.

LONA. — Pas encore.

BERNICK. — Tu n’en as pas le droit non plus… de me mépriser… Si tu pouvais comprendre combien je me trouve seul dans cette foule à l’esprit étroit et mesquin. J’ai dû d’année en année renoncer au rêve que je caressais d’avoir une vie active et bien remplie. Et qu’ai-je fait d’important ? des minuties, des vétilles. Ici l’on ne peut tenter autre chose. Si je voulais soutenir les idées de progrès, c’en serait fait sur l’heure de mon influence… Sais-tu ce que nous sommes, nous que l’on appelle les soutiens de la société ? Nous sommes ses instruments, rien de plus ni rien de moins.

LONA. — Pourquoi ne t’aperçois-tu de cela qu’aujourd’hui.

BERNICK. — Parce que dans ces derniers temps… depuis que tu es ici, et surtout… ce soir, j’ai beaucoup réfléchi. Ah, Lona, pourquoi t’ai-je si peu connue autrefois ?

LONA. — Hé bien !

BERNICK. — Je ne t’aurais pas abandonnée, et je n’en serais pas aujourd’hui où j’en suis !

LONA. — Celle que tu as choisie à ma place n’aurait-elle pu remplir ce rôle auprès de toi ?

BERNICK. — Dans tous les cas, elle n’a pas été la compagne qu’il me fallait.