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THÉATRE

meilleur en un pareil moment ne mérite pas de vivre !

fieldbo. — Oui, mais, dis-moi, qu’allez-vous faire demain et les jours suivants, que voulez-vous édifier ?

stensgard. — Édifier ? Il s’agit d’abord de démolir. Fieldbo, j’ai rêvé une fois que le jour du jugement dernier était arrivé. Je cherchais à voir à travers les nuages. Il n’y avait pas de soleil ; seulement la jaune lueur des éclairs. Mais la tempête souffla de l’ouest et emporta tout avec elle, d’abord les feuilles sèches, puis les hommes. Ils avaient l’air de bourgeois courant après leurs chapeaux emportés par le vent. Aussi, quand ils s’approchèrent, je fus surpris de voir que c’étaient des empereurs et des rois, et ce après quoi ils couraient, ce qu’ils atteignaient et touchaient, sans parvenir à les saisir, c’étaient des couronnes et des sceptres. Il en passait des centaines et des centaines, sans que personne sut de quoi il s’agissait. Plusieurs criaient d’épouvante et demandaient : « D’où vient cette tempête ? » Mais voici la réponse qu’ils recevaient : « Une voix a retenti, et elle a éveillé un tel écho que la tempête en a été déchaînée. »

fieldbo. — Quand as-tu rêvé cela ?

stensgard. — Je ne m’en souviens pas ; il y a plusieurs années.

fieldbo. — Il y avait, sans doute, à ce moment-là une révolution quelque part en Europe, tu avais bien dîné, tu avais lu les journaux, et…

stensgard. — Le même frisson glacé a traversé mes membres, ce soir ! Oui, je ferai mon devoir, je serai la voix qui…

fieldbo. — Ecoute, mon cher Stensgard. Penses-y deux