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LES SOUTIENS DE LA SOCIÉTÉ

de toute la fortune de notre tante et que moi je n’aurais rien…

BERNICK. — Nous voilà au fait. Maintenant il faut que tu m’écoutes sans m’interrompre. À ce moment, je n’aimais pas Betty. Ce n’est point un nouvel amour qui m’a décidé à rompre avec toi. C’est sa fortune qui est la cause unique de mon choix, la maison avait des dettes, j’ai dû céder.

LONA. — Et tu me dis cela en face !

BERNICK. — Oui, écoute, Lona…

LONA. — Ne m’as-tu donc pas écrit qu’un invincible amour t’enchaînait à Betty ? N’as-tu pas fait appel à ma générosité ? Ne m’as-tu pas suppliée de taire, par amour de Betty, ce qui s’était passé entre nous ?

BERNICK. — Il le fallait, te dis-je.

LONA. — Ma foi, je ne regrette plus ma colère, alors !

BERNICK. — Laisse-moi te dire posément et froidement quelle était notre situation. Ma mère, tu t’en souviens, dirigeait la maison ; mais elle n’avait pas du tout le sens du commerce et je dus revenir en toute hâte de Paris. Le moment était des plus critiques. Il fallait tout remettre en état. À mon arrivée, je constatai, ce secret est resté enseveli au plus profond de mon cœur, que la maison était tout proche de sa ruine, ruinée même pour parler franc, cette vieille maison si respectée depuis près d’un siècle. Que devais-je faire, moi, le fils, le fils unique, sinon chercher un moyen de salut ?

LONA. — Et tu as sauvé la maison Bernick aux dépens d’une femme ?

BERNICK. — Tu sais combien Betty m’aimait ?

LONA. — Mais moi ?