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XVI
PRÉFACE

teur, le seul qui convienne aux habitudes et au goût du public.

Eh bien ! essayez de mettre Peer Gynt en alexandrins : vous changerez entièrement le caractère artistique de l’œuvre ; vous détruirez cette forme qui se plie si admirablement à la nature mobile et complexe du héros, faite à la fois de grossièreté native, d’ambition effrénée, de monstrueux amour-propre, de bon sens rustique, de lyrisme, de roublardise, d’égoïsme et d’attendrissement, d’audace et de poltronnerie, de platitude et de mysticisme, le tout s’unissant dans un ensemble merveilleux de vérité et de vie. Et le vers aussi va du rythme vif et léger du fabliau à la majesté hexamétrique de l’épopée, à l’harmonie des strophes lyriques, aux stances ou aux chansons, tout cela constituant un organisme vivant, aux membres flexibles et déliés, concourant tous à un jeu harmonique. Pour imiter dignement cette belle aisance d’allures, il faudrait non seulement être, en français, un poète aussi exercé qu’Ibsen l’est en norvégien, mais faire revivre en soi la grande verve de la Renaissance, l’esprit aux ressorts multiples comme la vie elle-même qui animait Rabelais et les auteurs de la Satire Ménipée. Certes on ne doit