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ACTE V

Cette feuille tordue au reflet purpurin,
C’est le Crésus vivant sans mesure et sans frein.
Et cette autre, malade, à points noirs, ne peut être
Que Peer Gynt, le courtier passant du nègre au prêtre.

(Il arrache plusieurs feuilles à la fois.)

L’oignon se rapetisse, il disparaît, il fond,
Et je n’entrevois pas de noyau ni de fond.

(Il épluche tout l’oignon.)

Eh ! c’est qu’il n’en a pas ! Non ! rien que ces coquines
De feuilles qui se font de plus en plus mesquines.
La nature est folâtre !

(Jetant les feuilles d’oignon.)

La nature est folâre ! À quoi bon méditer ?
Qui marche en trop songeant finit par se heurter
Le front au mur. Au lieu de fouiller le mystère,
Rampe donc, mon vieux Gynt, la face contre terre.

(Se grattant la tête.)

C’est égal, la vie est un drôle d’instrument,
Muet, ou répondant par une note fausse.
On voudrait en jouer, et l’on ne sait comment.
Du sot qui l’étudie on dirait qu’il se gausse.

(Il s’est approché de la cabane, l’aperçoit et tressaille.)

Là ! — Ce coin de forêt — et cette cabane… Eh !

(Se frottant les yeux.)

N’ai-je pas déjà vu ce gîte abandonné ?
Au-dessus du pignon, là-haut, des bois de renne…
Sur le toit, — n’est-ce pas ? — se dresse une sirène…
Non, c’est faux… ! Mais voici la serrure à secret
Qui ferme la pensée au lutin indiscret !