Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/24

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m’écrivait : « Je reviendrai au combat, mais avec un nouvel équipement et des armes nouvelles », ne se proposait-il pas de nous faire pénétrer enfin dans cette terre promise vers laquelle il nous avait conduits à travers les horreurs du désert social « où ne peut vivre un homme libre » ? Qui sait ? Dès le début, le créateur de la « pièce à problème » nous a placés devant un point d’interrogation. Il a dit de lui-même : « Ma mission n’est pas de répondre. » Et, après avoir mis tout en question, il s’est tu. Allait-il parler quand un sort tragique l’a violemment maintenu dans le silence ? Lui qui nous sollicite à nous affranchir des entraves de la société, s’affranchira-t-il lui-même de celles de la nature ? Entendrons-nous encore sa voix un jour qui serait, en vérité, un beau jour ? Ou son œuvre s’accomplira-t-elle sans lui ? Au Moïse qui nous aura conduits, sans y entrer lui-même, jusqu’au pays de Chanaan, quelque Josué succédera-t-il qui nous y fera pénétrer en terrassant les Moabites, les Amalécites et surtout les Philistins ? Ou, ce Josué, n’est-ce pas à chacun de nous de l’éveiller en soi ? N’est-ce pas à nous de répondre nous-mêmes ? Il se tut aussi, le Juste à qui l’on demandait ce qu’est la vérité. N’empêche que le monde lui doive la forme la plus accessible que la vérité ait jamais revêtue. Peut-être suffira-t-il, en fait d’indication positives, que l’œuvre d’Ibsen témoigne d’une chose : c’est que la transformation de l’humanité ne lui est jamais apparue comme une impossibilité absolue, c’est que, au contraire, il souriait secrètement à cette perspective, si incertaine qu’elle fût, et, de temps en temps, se tour-