Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/40

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les détenteurs de l’autorité, il faudra bien l’imposer aux contribuables. Aslaksen comprend l’argument et, dès lors, c’en est fait de l’appui du Messager, que commanditaire et rédacteur s’étaient empressées d’offrir au docteur Stockman tant qu’ils ne voyaient dans sa découverte qu’une arme de combat contre la ploutocratie, objet de leur envie.

Les choses ont bien changé depuis que Pierre Stockman, le maire, a montré à ces messieurs non point où est le vrai et où est le faux, — c’est là leur moindre souci, — mais où est le gain et où est la perte, ce qui leur importe avant tout. Dans une assemblée populaire convoquée par Thomas Stockman, qui n’a plus d’autre ressource pour se faire entendre, où sont ses plus âpres adversaires ? Ce n’est pas son frère ni les gros bonnets groupés autour de la casquette d’uniforme : ce sont les libéraux, à qui ils abandonnent la besogne, sûrs désormais que ceux-ci la rempliront avec plus de zèle et de succès qu’eux-mêmes. C’est Hovstad qui, dans son héros de la veille, dénonce à la foule un ennemi du Peuple. C’est Aslaksen, qui, élu président sur la proposition du maire, provoque un vote dans ce sens, flétrissure publique infligée au champion de cette intempestive vérité, dont le triomphe exigerait tant de sacrifices. C’est, enfin, l’ignoble Billing qui, à la question : « Mais qu’a donc le docteur ? » répond en sourdine par une insinuation d’autant mieux acceptée, d’autant plus prompte à se répandre qu’elle est plus grossière et satisfait plus simplement des gens peu enclins à se creuser la tête : « Vous savez, il avait demandé une augmenta-