Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/49

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aujourd’hui à répandre sur l’existence de ce dernier un rayon de sérénité posthume, à y recueillir chaque trace de joie et de réconfort pour que la sœur ait la consolation de pouvoir dire de son frère atrocement éprouvé « Il connut cependant le bonheur », — cette vie ne nous apparaît que comme un long— martyre, caractère qui tient essentiellement à ceci : Nietzsche, dans le monde de la vie intellectuelle, n’avait pas de patrie. Ibsen en avait une : il était dramaturge. Il était solidement établi dans un genre existant. Il n’avait pas et ne voulait pas avoir d’amis, mais il avait un public qui lui en tenait lieu et lui apportait une force que d’autres artistes demandent à l’amitié : la communion des fantaisies. Cet appui, il pouvait toujours se le procurer auprès de son public, en usant des procédés connus et éprouvés que l’art de la scène fournissait à son génie dramatique. Nietzsche, lui, n’avait à sa disposition ni genre, ni procédé connu Il avait tout à créer, son public y compris. Une combinaison de philologie, de philosophie, de poésie et d’art comme celle que son esprit avait à sa disposition était chose inouïe, où personne, tout d’abord, ne se reconnut, si ce n’est quelques esprits originaux et indépendants que leur originalité et leur indépendance mêmes devaient nécessairement lui aliéner tôt ou tard. En/un mot, Nietzsche était un déclassé à qui manquait cette solidarité dans le déclassement qui est un effort vers la création d’un centre nouveau et où la nature retrouve d’ordinaire ses droits. C’était un déclassé condamné à l’isolement, un déclassé dans un pays de classement à outrance. Ses appels cons-