Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/55

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lique de Martin Kül, où se concentre toute l’ignorance et toute la ruse de l’esprit du sol terré dans sa fange natale, tout ce qu’il a de grotesque et tout ce qu’il a d’implacable, quand Martin Kül, soupesant son portefeuille, dit au docteur : « Ceci est l’avenir des tiens, persévère et tu l’anéantis, cède et tu le sauves, alors le juste lui-même est ébranlé. C’est la scène de Brand et de l’Esprit de Compromission qui se répète sous une autre forme. Mais il suffit, pour qu’il se ressaisisse aussitôt, de l’apparition des enfants. Là est la pierre de touche : le souci qu’éveille dans une âme vaillante la vue de l’avenir le rappelant à sa responsabilité envers l’humanité nouvelle n’est pas le souci de lui léguer le calme par la soumission, c’est celui de lui léguer l’indépendance par le combat. C’est aussi celui de n’avoir pas à rougir devant elle, en capitulant honteusement. Voilà le dernier geste, le dernier mot, la dernière suggestion de la pièce. Voilà comment Ibsen termine, en nous amenant au point où il voulait en venir, par la voie qu’il lui convenait de prendre, et en faisant converger vers ce dénouement la hardiesse de sa pensée, l’âpreté de sa satire et toute sa verve dramatique. La dernière position est emportée d’assaut et le drapeau que nous y voyons flotter n’est ni celui de Jérémie ni celui de Savonarole : c’est celui de Molière. « In hoc signo vinces, » dit à Ibsen son génie artistique.

Voyez plutôt le comique des scènes, écoutez les mordantes répliques, les boutades savoureuses, et vraiment vous ne vous sentirez pas au temple, vous vous sentirez au théâtre, bien au théâtre, rien qu’au