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Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/58

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vient vérité, c’est la vérité qui se fait cabotinage.

Voilà ce qu’Ibsen comprend admirablement. Il n’ignore pas que l’idée, pour avoir droit à la scène, doit, plus encore que le sentiment et que la fantaisie, se soumettre aux conditions de l’art qu’elle invoque à son aide. Que ses collaborateurs scéniques le sachent de leur côté. Jouer de l’Ibsen est pour eux un danger d’autant plus sérieux que plus sérieuse est la cause qu’ils servent et qu’ils peuvent trahir. Je ne parle, bien entendu, qu’à ceux pour qui cette tâche est une affaire d’enthousiasme ou, tout au moins, de conscience artistique et qui jouent pour un public capable de subir le vertige ibsénien. C’est le seul public qu’il puisse être question de dégriser et le seul également dont il puisse être question ici.

Je sais combien est difficile ce que je demande aux acteurs à qui je m’adresse. Je sais qu’ils ont pénétré Ibsen non seulement par l’entraînement, mais encore par la réflexion. Ils ont saisi sa pensée, ils sont entrés dans ses intentions morales et sociales, ils ont en eux tout ce qu’il faut pour le comprendre et pour l’aimer, parce qu’ils ne sont pas seulement acteurs, parce qu’ils sont hommes, hommes de leur temps, emportés eux-mêmes par le courant qui nous a donné les Ibsen et les Nietzsche, et qu’il leur faut peut-être se faire violence pour ne pas trahir quelque chose de leurs pensées et de leurs émotions personnelles, pour éviter ce qu’Ibsen a su éviter lui-même, à force d’art.

Heureusement, ils ont à leur disposition un puissant levier : c’est le succès de son effort. Les personnages qu’il a créés ont de quoi les animer et les sou-