Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/63

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Le premier est un psychologue sûr, qui n’a pas besoin qu’on lui vienne en aide. Le second sentira toujours le frisson de la réalité quand on la lui présentera dans les conditions strictement fixées par le maître, sans y ajouter je ne sais quel réalisme de son propre crû.

J’ai vu dénaturer dans un sens contraire quelques figures puissamment marquées, telles que celle de Martin Kül, qu’on aperçoit, çà et là, dans l’œuvre d’Ibsen, comme la signature du maître. Chez elles, il n’y pas, à vrai dire, de développement de caractères. Elles apparaissent telles que des forces de la nature fixes et déterminées. Puis, on les voit reparaître, au moment décisif, jouant parfois le rôle du destin tragique. Elles incarnent, en effet, quelque principe fixe qui échappe à l’action du temps, à l’évolution sociale, à l’œuvre du progrès ou de la décadence humaines. Ou bien encore, cette œuvre s’y cristallise d’une façon définitive, si bien qu’aucun réactif n’a plus de prise sur elles. C’est la fatalité des conditions auxquelles s’en prend Ibsen qui produit un Rank, un Ulrik Bramdel ou un Martin Kül. Mais, ces produits une fois formés, rien n’agira plus sur eux, tandis qu’eux agiront sur tout ce qui les approche. Rien ne guérira Rank et ne l’empêchera de communiquer un frisson de mort à Nora et même à Helmer. Rien ne pénétrera à travers l’écorce qui enveloppe l’esprit et l’âme d’un Martin Kûl et ne l’empêchera de troubler jusqu’à l’esprit et à l’âme d’un Thomas Stockmann. D’autre part, tante Julie traversera, indemne, l’atmosphère de la maison Tesman et y répandra un peu de bénédiction que Hedda elle-même sentira un instant.