Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/162

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encore et dessine toujours ». Et il dessine, et il peint, et il efface ; il n’est jamais content du dernier trait, car le suivant sera peut-être meilleur. Il est, devant son chevalet, « comme un aveugle qui ne voit et même n’entend rien ». Il y a tellement suspendu, ces longs quatre ans, son âme haletante qu’il ne lui reste plus qu’à y pendre à la fin son corps épuisé. Heureusement, puisque « tout se fait avec le temps », comme dit Ingres qui n’est jamais pressé d’achever ses tableaux, le Vœu de Louis XIII est enfin terminé et, comme le maître l’a depuis raconté à Amaury Duval son élève, il l’accompagnera à Paris, pour assister lui-même à la haute lutte que le siècle de Raphaël, veut livrer au siècle de Delacroix : « Je crus devoir l’apporter moi-même, mais sans grande confiance dans le résultat. Aussi n’avais-je pris qu’un simple sac de nuit, bien persuadé que je m’en retournerais comme j’étais venu. J’eus le bonheur de trouver dans M. de Forbin, (qu’Ingres avait connu à l’atelier de David), un protecteur des plus chauds. Quand il vit mon tableau, que j’avais fait tendre dans une salle du Louvre, il me témoigna vivement son contentement et voulut qu’il ne fût montré au public que dans la dernière quinzaine de l’Exposition, et à une place d’honneur. J’étais fort heureux ; mais quand le Salon fut ouvert, quand j’y pénétrai, je fus ébloui par tout ce que je voyais, et je fus pris d’un vrai découragement. Il y avait vingt ans que je n’étais venu en France, je ne connaissais rien de ce qui s’y faisait ; et je fus tellement surpris du talent et de l’exécution si habile de mes confrères que, sans les encouragements que me donnait Forbin, sans l’assurance qu’il me paraissait avoir en mon succès, je n’aurais pas osé affronter ces comparaisons. Enfin, il fut fait comme il l’avait dit : quinze jours avant la fermeture, mon tableau fut exposé et les critiques ne me refusé-