Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/316

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un jour après l’autre, me reposer et respirer enfin. Je ne vis ici que dans les tourments ; j’ai des rochers d’un poids énorme sur les épaules. Avec une position si enviée, je suis ainsi courbé et entouré d’envieux qui ne me pardonnent pas les humiliations que mes nobles succès leur ont fait subir. Je ne dois ces succès qu’à moi : les leurs sont le fruit de leur médiocrité intrigante, une académie impuissamment hostile et ridicule que je suis obligé de repousser à ongles et dents. Le public et la presse ont fait bonne justice de cette opposition. Mais qui sait si ce public et cette presse si ardents à me venger, aujourd’hui, ne céderont pas au caprice du goût et du sort ? On a bien chassé Gluck le divin de l’Opéra, on a blasphémé le divin Raphaël et aussi Racine, oui Racine, (tu ris, tu vois que l’on devient sage à tout âge). Et enfin tant d’autres illustrations !

Rien n’est guère changé ici, et le bon goût y est bien rare en tant de choses. Pardonne-moi tout ce bavardage, sérieux cependant. Ce qu’il y a de sûr, c’est que mon parti est pris : je veux penser à Dampierre, y peindre sur des murs préparés d’or, de couleurs et de sculptures, sur deux grands cintres de vingt pieds de long, l’Age d’Or et l’Age de Fer. À fresque ou à l’huile ? Je ne suis pas encore décidé. Et ce travail est pour un grand seigneur, un vrai grand seigneur, aussi aimable comme gentilhomme que célèbre comme savant, et tout à fait artiste. Il se trouve tout à fait heureux que je lui peigne son beau palais,