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quelquefois ne plus se comprendre elle-même. Pour ceux qui comprennent le catholicisme, c’est l’intolérance qui est anti-catholique, car intolérance et persécution sont presque toujours synonymes et marchent toujours de pair. Intolérance et persécution sont diamétralement opposées aux idées de charité et d’amour qui forment la vraie base du catholicisme, dans son essence au moins, sinon tel que la réaction nous le représente quelquefois. La réaction ne fait donc souvent que discréditer le catholicisme au lieu de le représenter tel qu’il est.

Mais il est incontestable, par exemple, que la tolérance est une idée anti-réactionnaire, est essentiellement une idée de progrès, puisqu’elle tend directement à gagner, à unir les esprits par la concorde, la douceur et la charité. Voilà sans doute pourquoi la réaction, dont les organes ont toujours la trompette de guerre en bouche, abhorre l’idée de la tolérance. Et comment en serait-il autrement ? La tolérance c’est la paix universelle, et depuis sept siècles surtout la réaction n’a fait que prêcher l’extermination — il est vrai qu’aujourd’hui elle ne parle que de la simple élimination par la force séculière — de tous ceux qui pensent autrement qu’elle ! Tous ses organes proclament que sa mission dans le monde est la guerre à tous ceux qui ne veulent pas se laisser dominer moralement : la tolérance n’est donc pas son fait. Pour elle, la tolérance c’est la liberté de l’erreur ; et elle comprend si bien la philosophie du droit social, qu’elle se dit responsable devant Dieu de l’existence de ce qu’elle appelle l’erreur. Si elle pouvait jamais accepter un conseil, je lui donnerais en vérité celui de recommencer sa philosophie, et de sonder un peu les grandes questions de la liberté morale et de la correction fraternelle.

XV

Mais si la tolérance est une idée anti-catholique, cela voudrait donc dire que la réaction peut imposer ses idées à l’individu sans se mettre le moins du monde en peine de le convaincre par la discussion ! Dieu nous aurait donc inutilement donné l’intelligence et le libre-arbitre ! Dieu se serait donc trompé !

C’est toujours à de pareilles impasses que la réaction arrive avec ses principes.

Si les grands écrivains du christianisme ne se sont pas trompés en disant qu’il « fallait persuader et non contraindre : » « traiter en toute sorte de douceur et non violenter : » la réaction se trompe certainement quand elle prétend que la tolérance est une idée anti-catholique. Il n’y a pas de milieu, l’un ou l’autre est erroné. Eh bien, je crois que l’on ne court pas grand risque à se ranger avec les docteurs de l’Église, St. Justin, Tertullien, St. Hilaire de Poitiers, St. Athanase, St. Jean Chrysostôme, St. Basile, St. Grégoire de Nazianze, le pape St. Grégoire Lactance, et plus récemment, St. Thomas, le Cardinal Pierre Damien, l’Évêque Duchâtel, l’Évêque duBellai, le Cardinal Lecamus, Fénélon, plusieurs assemblées du clergé de France, et nombre d’autres qui font autorité, n’ont-ils pas réclamé ou conseillé la tolérance absolue ?

La correspondance entre St. Basile et le philosophe Libanius n’est-elle pas la meilleure preuve de l’esprit de tolérance complète qui régnait alors ?

St. Jean Chrysostôme ne disait-il pas aux fidèles de Constantinople : « Dans nos discussions avec les gentils, réfutons-les sans colère et sans dureté. En le faisant avec colère, nous agissons sous l’empire de la passion, et non pas avec la confiance de la vérité. Le langage de la vérité doit être calme et indulgent ? »

Et St. Athanase ne disait-il pas aussi : « C’est une exécrable hérésie que de vouloir attirer par la violence et les emprisonnements ceux que l’on n’a pu convaincre par la raison ? »

Et St. Grégoire le Grand : « Combattez l’erreur par des arguments, c’est justice, mais sachez être bons et indulgents envers ceux qui ont eu le malheur d’y tomber. »

Et St. Augustin : Dieu tolère bien les hérétiques, pourquoi les persécuterions-nous ? »

Et St. Thomas n’établit-il pas avec toute l’antiquité chrétienne « qu’on ne doit jamais contraindre les infidèles à embrasser la foi ; et que même après les avoir vaincus et faits prisonniers, il faut les laisser libres sur l’article de la religion ? » Il faut donc respecter leurs opinions !

Tout cela ne montre-t-il pas un peu qu’il y avait peut-être un meilleur moyen à prendre avec nous que celui de nous frapper de censures sans même nous entendre ?

XVI

Mais la réaction a trouvé une idée lumineuse, qu’elle n’exprime pas toujours crûment, mais qui se résume ainsi : « Vous, hérétiques ou autres, devez nous tolérer quand nous sommes faibles ; mais nous ne pouvons clairement pas vous tolérer quand nous sommes forts. » Or cela revient à dire : « Faites-nous ce que vous désirez que l’on vous fasse : mais quand à nous, nous sommes obligés de ne pas vous faire ce que nous désirons que l’on nous fasse. » Peut-on jamais se moquer plus audacieusement de l’évangile, ainsi que de toute notion de conscience, de morale et de bon sens ? Mais la réaction est ainsi faite ; elle ne doit jamais rien à personne et les autres lui doivent tout.

Et elle le dit en toutes lettres quand elle est derrière un million de bayonnettes. Voyez cette phrase qui est tombée de la bouche d’un réactionnaire dans le corps législatif de France : « Quand vous êtes au pouvoir, nous vous demandons la liberté parce qu’elle est dans votre principe ; et quand nous sommes au pouvoir, nous vous la refusons parce qu’elle n’est pas dans le nôtre. » Voyons ! le cynisme est-il assez révoltant ? Peut-on dire quelque chose de plus essentiellement anti-social et impie ? « Vous nous devez tout et nous ne vous devons rien !