Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/14

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sai même, c’était un long jour d’été, jusqu’à la pointe de la colline la plus éloignée, d’où je laissai mes regards s’étendre sur bien des milles de terre inconnue, et fus profondément étonné de voir quel vaste globe j’habitais.

Les années développèrent cette tendance à la flânerie. J’en vins à aimer avec passion les livres de voyages tant maritimes que terrestres, et pendant que j’en dévorais le contenu je négligeais les exercices réguliers de l’école. Comme, les jours de beau temps, j’errais sur la jetée, l’œil fixe, épiant le départ des navires qui se dirigeaient vers de lointains climats ! De quel regard de convoitise j’accompagnais leurs voiles qui s’effaçaient peu à peu, pendant que mon imagination prenait son essor et m’emportait au bout du monde !

L’habitude de lire et de penser, tout en renfermant cette vague inclination dans des bornes plus convenables, ne fit que l’accuser davantage. J’explorai diverses parties de mon propre pays, et si je n’avais été influencé que par l’amour des beaux paysages je n’aurais que très-peu senti le besoin d’en chercher ailleurs la satisfaction, car il n’est pas de contrée sur laquelle les charmes de la nature aient été répandus avec plus de prodigalité. N’a-t-elle pas ses lacs majestueux, qui ressemblent à des océans d’argent liquide ; ses montagnes, avec leurs brillantes teintes aériennes ; ses orgueilleuses vallées, luxuriantes de fertilité ; ses cataractes effrayantes, qui se précipitent comme le tonnerre dans leurs solitudes ; ses plaines infinies, dont chaque vague est couverte d’un tapis de verdure ; ses larges et profondes rivières, qui roulent vers l’océan dans un silence solennel ; ses forêts vierges de sentiers, où la végétation déploie toute sa magnificence ; son ciel, qui offre en tout temps l’éclat magique de nuages d’été sous un soleil splendide ? — Non, jamais un Américain n’aura besoin de jeter les yeux hors de son pays pour trouver une belle nature et des scènes sublimes.

Mais l’Europe m’attirait par son prestige, emprunté à l’histoire et à la poésie. Là je devais voir les chefs-d’œuvre de l’art, les raffinements d’une société profondément civilisée, les curieuses particularités de coutumes anciennes et locales. Mon pays natal était plein de jeunes promesses ; l’Europe était riche de trésors accumulés pendant des siècles. Ses ruines mêmes disaient l’his-