Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/160

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de rire auxquels l’homme s’abandonne dans une auberge, ce sanctuaire de la véritable liberté.

Comme je ne savais pas de meilleur moyen pour arriver au bout d’une ennuyeuse et triste soirée, je m’établis près du poêle, et prêtai l’oreille à une variété d’histoires de voyageurs, quelques-unes très-extravagantes, et la plupart très-fastidieuses. Elles sont toutes, en bloc, sorties de ma perfide mémoire, à l’exception d’une seule, que j’essaierai de rapporter. Je crains bien, cependant, que ce ne soit à la manière dont elle était racontée qu’elle ait dû tout son piquant, à l’air particulier, au physique du narrateur. C’était un vieux Suisse chargé d’embonpoint, qui avait la mine d’un vieux routier. Il portait une jaquette de voyage jadis verte, avec un large ceinturon autour de la taille, et un pantalon de voyage avec des boutons depuis la hanche jusqu’au cou-de-pied. Sa figure était pleine et rubiconde ; il avait un double menton, un nez aquilin, et le clignement d’yeux le plus agréable. Ses cheveux étaient clair-semés, et s’échappaient par boucles de dessous une vieille coiffe de voyage en velours vert plantée sur un côté de sa tête. Il fut plus d’une fois interrompu par l’arrivée de nouveaux hôtes ou les remarques de ses auditeurs, et fit de temps à autre une pause pour rebourrer sa pipe, cas auquel il avait presque toujours un air fripon et quelque fine plaisanterie pour la robuste fille de cuisine.

Je voudrais que mon lecteur pût se représenter le joyeux vieillard nonchalamment étendu dans un large fauteuil, une main appuyée sur la hanche, pendant que l’autre tenait une pipe en véritable écume de mer, et curieusement tortillée, que décoraient une chaîne d’argent et un gland de soie — sa tête relevée d’un côté, l’expression bizarre que prenait parfois son œil pendant qu’il racontait l’histoire suivante.