Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieux temps. Peut-être cela provient-il de ce qu’ils ont continuellement devant les yeux ces rangées de vieux portraits de famille dont sont garnies les maisons seigneuriales de ce pays : toujours est-il que les traits curieux du temps passé se perpétuent quelquefois très-fidèlement dans ces anciennes lignes, et il m’est arrivé de suivre à la piste un antique nez de famille à travers toute une galerie de portraits, légitimement transmis de génération en génération presque depuis le temps de la conquête. Quelque chose de semblable se pouvait observer dans la digne compagnie qui m’entourait ; nombre de leurs figures avaient évidemment pris naissance dans un siècle gothique, été simplement copiées par les générations subséquentes, entre autres celle d’une petite fille au port grave, avec un nez à la romaine et un air d’antique aigreur, qui était la grande favorite du Squire, étant, comme il disait, une Bracebridge d’un bout à l’autre, et l’exacte reproduction de l’un de ses ancêtres qui figurait à la cour de Henri VIII.

Le ministre dit le benedicite, qui n’était pas une de ces courtes et familières actions de grâces telles qu’on en adresse d’ordinaire à la divinité dans ces temps peu cérémonieux ; il était long, poli, bien dit, un benedicite de l’ancienne école. Puis il y eut un moment d’arrêt, comme si l’on attendait quelque chose, quand tout à coup le sommelier entra dans la salle avec un certain fracas. Il était flanqué, de chaque côté, d’un domestique portant une grande bougie, et soutenait un plat d’argent sur lequel était une énorme tête de porc décorée de romarin, un citron aux dents, qui fut avec de grandes cérémonies placée au haut bout de la table. Au moment où ce trophée fit son apparition, le joueur de harpe attaqua vivement un prélude, à la suite duquel le jeune étudiant d’Oxford, sur une insinuation du Squire, entonna d’un air de gravité des plus comiques une vieille chanson dont le premier couplet était ainsi conçu :


Caput afri defero,
Reddens laudes Domino.
Du sanglier j’apporte, amis, la tête,
Qu’ornent du romarin, des guirlandes de fête.
Qu’à bien chanter chacun s’apprête,
Qui estis in convivio.