Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/259

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C’est un fragment de Londres tel qu’il était dans ses meilleurs jours, avec ses habitants et ses modes surannés. Ici fleurissent dans un état de conservation parfaite nombre des joyeux divertissements et des coutumes d’autrefois. Les naturels mangent très-religieusement des crêpes le mardi gras, des babas tout chauds marqués d’une croix le vendredi saint[1], et de l’oie rôtie à la Saint-Michel ; ils envoient des lettres d’amour le jour de la Saint-Valentin, brûlent le pape le 5 novembre, et embrassent toutes les jeunes filles sous le gui à Noël. Le roastbeef et le plum-pudding sont aussi de leur part l’objet d’une superstitieuse vénération, et l’oporto et le xérès toujours regardés comme les seuls véritables vins anglais, tous les autres étant considérés comme de vils breuvages étrangers.

La Petite-Bretagne a son long catalogue de merveilles locales, que ses habitants tiennent pour des merveilles du monde, telles que la grosse cloche de Saint-Paul, qui fait aigrir la bière quand elle sonne, les figures qui frappent les heures à l’horloge de Saint-Dunstan, le Monument, les lions de la Tour, et les géants de bois de l’hôtel de ville. Ils ajoutent encore foi aux songes et aux diseuses de bonne aventure, et une vieille femme qui habite Bull-and-Mouth street se fait une existence très-convenable en découvrant les objets volés et en promettant de bons maris aux jeunes filles. Ils sont enclins à s’effrayer des comètes et des éclipses ; et si un chien hurle lugubrement la nuit, c’est considéré comme un signe de mort certaine dans la maison. Il circule même plusieurs histoires de revenants, particulièrement sur les vieilles maisons seigneuriales, dans plusieurs desquelles on dit qu’il se voit quelquefois d’étranges spectacles. Seigneurs et grandes dames, les premiers portant de larges perruques, des manches pendantes, et l’épée au côté ; celles-ci en capuchons avec robes de brocart et paniers, ont été vus se promenant de long en large dans les grandes chambres désertes, par des nuits de clair de lune ; et l’on suppose que ce sont les ombres des anciens propriétaires dans leurs habits de cour.

  1. Good Friday. Pour nous autres Français qui n’avons pas le sens pratique, le jour où le Christ est mort, c’est le « Vendredi saint » ; pour nos voisins d’outre-mer, c’est le « bon vendredi ». (Note du traducteur.)